Dès qu'il fait beau, je sors dans le jardin jouer avec
Vincent. Je dis jouer, mais on prend l'un comme l'autre, l'affaire très au
sérieux. La saison démarre avec du tennis ballon. Normalement, c'est le jeu des
mois de mai et juin, pour être raccord avec Roland Garros et Wimbledon. Ca se
joue avec le ballon de foot. Sur la dalle de béton devant la porte, il y a des
fissures, qui délimite le terrain. Il est très petit, il n'y a pas à bouger. Le
tennis-ballon se joue au pied uniquement. Un seul rebond. Les points se
comptent comme au tennis, par set. Mais les règles évoluent d'une saison à
l'autre. Après, si on est une année paire, il y a la coupe du monde ou la coupe
d'Europe de football. Alors on passe au foot-chaise. Il faut marquer un but en
passant le ballon sous une chaise de jardin. C'est 1 contre 1. Là il faut
sacrément courir, car chaque chaise est disposée de part et d'autre du jardin.
Vincent est beaucoup plus physique que moi, plus musclé, plus compact. Je
préfère le tennis ballon!
C'est l'année du baccalauréat. Vincent n'est pas sur des
summums de réussite scolaire. Il passe les barres, sans trop d'effort. Mais
avec un peu de risque à chaque fois, pour l'adrénaline, je suppose. Une semaine
avant le début des épreuves, on part à Grenoble. Je ne sais plus vraiment
pourquoi. Vincent négocie de rester, pour étudier la première épreuve, la philosophie.
Grand doute dans la famille, mais il obtient gain de cause, il restera tout
seul à la maison, pour réviser. La décision me glace le sang. Je m'imagine seul
dans la maison. Du haut de mes 14 ans, je n'ai pas une once d'autonomie. Je me
vois manger du pain pendant toute la semaine. Les épreuves passent. Le temps
est superbe. Il ne reste plus que l'oral d'anglais, et puis ce sont les
vacances. Un foot-chaise s'organise. Je perds déjà 3-1. Je prends coup d'épaule
sur coup d'épaule, je suis physiquement dominé. Vincent enchaîne avec facilité,
et le 4eme but est imminent. Tant pis, je tacle. C'est très rare dans ce jeu.
Il est surpris et retombe sur la chaise en plastique du jardin. Aie, une
douleur. Papa arrive. Il oscule, regarde, palpe, pose mille questions. Le
verdict tombe: ce n'est rien. Le lendemain, Vincent a un plâtre. C'est la 2eme
fois, après l'affaire du skate. Je suis content, car il a déjà passé toutes les
épreuves du baccalauréat, sauf l'anglais, et que c'est à l'oral, donc il n'est
pas pénalisé par ce plâtre sur son avant-bras droit. Et surtout je suis content
car je fais un bond de quelques années en arrière, et je le revois avec un
plâtre. Je n'ai pas de remords. C'est le foot après tout, c'est un sport
physique, il faut savoir tenir le choc à ce jeu!