samedi 13 juin 1992

23- Doctor House

Dès qu'il fait beau, je sors dans le jardin jouer avec Vincent. Je dis jouer, mais on prend l'un comme l'autre, l'affaire très au sérieux. La saison démarre avec du tennis ballon. Normalement, c'est le jeu des mois de mai et juin, pour être raccord avec Roland Garros et Wimbledon. Ca se joue avec le ballon de foot. Sur la dalle de béton devant la porte, il y a des fissures, qui délimite le terrain. Il est très petit, il n'y a pas à bouger. Le tennis-ballon se joue au pied uniquement. Un seul rebond. Les points se comptent comme au tennis, par set. Mais les règles évoluent d'une saison à l'autre. Après, si on est une année paire, il y a la coupe du monde ou la coupe d'Europe de football. Alors on passe au foot-chaise. Il faut marquer un but en passant le ballon sous une chaise de jardin. C'est 1 contre 1. Là il faut sacrément courir, car chaque chaise est disposée de part et d'autre du jardin. Vincent est beaucoup plus physique que moi, plus musclé, plus compact. Je préfère le tennis ballon!
C'est l'année du baccalauréat. Vincent n'est pas sur des summums de réussite scolaire. Il passe les barres, sans trop d'effort. Mais avec un peu de risque à chaque fois, pour l'adrénaline, je suppose. Une semaine avant le début des épreuves, on part à Grenoble. Je ne sais plus vraiment pourquoi. Vincent négocie de rester, pour étudier la première épreuve, la philosophie. Grand doute dans la famille, mais il obtient gain de cause, il restera tout seul à la maison, pour réviser. La décision me glace le sang. Je m'imagine seul dans la maison. Du haut de mes 14 ans, je n'ai pas une once d'autonomie. Je me vois manger du pain pendant toute la semaine. Les épreuves passent. Le temps est superbe. Il ne reste plus que l'oral d'anglais, et puis ce sont les vacances. Un foot-chaise s'organise. Je perds déjà 3-1. Je prends coup d'épaule sur coup d'épaule, je suis physiquement dominé. Vincent enchaîne avec facilité, et le 4eme but est imminent. Tant pis, je tacle. C'est très rare dans ce jeu. Il est surpris et retombe sur la chaise en plastique du jardin. Aie, une douleur. Papa arrive. Il oscule, regarde, palpe, pose mille questions. Le verdict tombe: ce n'est rien. Le lendemain, Vincent a un plâtre. C'est la 2eme fois, après l'affaire du skate. Je suis content, car il a déjà passé toutes les épreuves du baccalauréat, sauf l'anglais, et que c'est à l'oral, donc il n'est pas pénalisé par ce plâtre sur son avant-bras droit. Et surtout je suis content car je fais un bond de quelques années en arrière, et je le revois avec un plâtre. Je n'ai pas de remords. C'est le foot après tout, c'est un sport physique, il faut savoir tenir le choc à ce jeu!