dimanche 12 juin 1988

9- Planche à roulettes

Touche à tout, insatiable, pitre, bonimenteur, le voilà embarqué dans un de ses moments privilégiés: assister à la première communion de sa cousine Marianne. Evidemment il exècre le symbole, mais rit de grand cœur de la pitrerie du moment, des dévots qu'il méprise, et du curé qui ne vaut pas trois sous par définition. Il fait froid à Grenoble, c'est encore l'hiver. Mon père passe un temps infini avec le clodo à la porte de l'église. L'honneur de lui donner non pas trois pièces, c'est ridicule, mais un cigarillo. Ca c'est génial, élégant. Et la causette démarre avec le gars. Cinq minutes, dix minutes. J'adore mon père. Il m'expliquera ensuite dix fois combien le gars préfère un cigarillo à dix francs. Je ne me lasse pas de cette analyse sociologique. Dernier jour avant le retour. Trop de repas, trop de sucre. La dernière balade. Mais d'où sort ce skate board. C'est tout nouveau au milieu des années 80. J'en avais vu furtivement sur des pochettes d'album de chanteur américain. Mais un pour de vrai! Ah non, je ne veux pas essayer, ce n'est pas mon monde. Vincent, il adore. Evidemment, il le monopolise. C'est un truc nouveau, c'est génial, tout le monde le regarde. Et c'est du made in USA, le top dans les années 80. Catastrophe. Sur un passage piéton anodin, 5 mètres devant moi. Je n'ai rien vu. La chute et le bras qui se fracasse sur le rebord du trottoir. Rien que de très banal. Mon père se précipite. Il soulève le bras par le coude. L'avant bras se plie en deux. Analyse rapide, ça doit être cassé. Vincent hurle. Bientôt le camion de pompier hurle aussi. Grand stress dans la famille. Comment on fait, qui monte, qui y va avec le petit? Il crie depuis 15 minutes, c'est la panique. Le soir, on est tous à l'hôpital. Mon père doit signer une décharge. Vincent va être anesthésié. L'hôpital ne peut être tenu responsable si ça tourne mal. C'est quoi ce papier, ce n'est pas normal. Tout le monde en parle à demi-mot. On me prend à part, on me dit le secret. Nouvel affolement. C'est mon premier contact avec un hôpital. J'ai l'impression que les parents en savent autant que moi sur le mode de fonctionnement dans ce genre d'établissement. Tant pis, le petit a mal. Vite il faut agir. Allez les autres, il faut rentrer. Vous gênez. Il n'y a rien à voir. Le lendemain, Vincent a un plâtre au bras. C'est trop génial, on peut écrire dessus avec un feutre. Quoi moi? Euh je ne sais pas. J'écris Vive les maladroits. Dominique.  J'adore son plâtre. Il va le garder sacrément longtemps. Je deviens jaloux de tous les messages qu'il récolte sur ce plâtre. Quel héros, mon frère.

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