jeudi 16 août 1990

20- 1909

Mi-août, il n'y a pas de surprise, nous partons à Argelès-sur-Mer pour une semaine. Nous y rejoignons Madame Bouix qui nous attend dans sa maison de village. L'habitude avait été prise dès 1966. A l'époque c'était maman qui profitait de ces vacances. Rythme immuable des choses, cadencé à la perfection, comme le coucou suisse de la minuscule salle à manger où nous dormons avec Vincent tous les soirs. Le matin c'est grasse matinée, le midi melon avec le porto dans le verre, ensuite sieste de papa et pétanque dans le jardin pour nous, puis départ à la plage du Racou pas avant 17 heures. Le Racou, c'est un ancien village de pêcheurs, un peu à l'écart d'Argèles. On y est en décalé dans la saison, fin août, et en décalé dans la journée, vers 18 heures. C'est l'image de nos vacances à la mer, décalées, fuyant la vague, et dans la totale nostalgie. Dans ce rythme imposé, il existe un tabou absolu, l'âge de Madame Bouix. Lorsqu'elle n'est pas là, les débats vont bon train, est-elle plus jeune que pépé Bastier, voyons voir en 1952 lors des retrouvailles, cherchons des éléments. Madame Bouix. C'est adorable, nous l'appelons tous révérencieusement Madame Bouix et nous la vouvoyons. Mes grands-parents vivent avec elle depuis 50 ans, même combat. Nous savons tous qu'elle se délecte de ce statut si particulier que nous lui reconnaissons, et tout se déroule avec beaucoup de respect et de sympathie. Nous avons évidemment une histoire différente. Elle a grandi dans les Années Folles, à Paris, dans un milieu aisé, avec une éducation très exigeante, et elle a capturé une quantité de savoir et de compétences magnifiques. Elle est en l'aise à l'aquarelle, lit une partition de musique classique comme un roman, la couture n'a pas de secret pour elle, les noms latins de nombre de champignons sont une formalité, elle est un vrai cordon bleu en cuisine, et elle garde jalousement tous ses tours de cuillères. Elle est la quintessence de l'admirable éducation des jeunes filles d'antan. Et sa date de naissance reste un secret absolu. Ce jour-là il pleut. Pas de sortie à la plage. L'après-midi sera consacré à une virée en Espagne, à Portbou, avec l'objectif affiché de se re-approvisionner en cigarillos. Madame Bouix vient avec nous, l'objectif de la sortie est définitivement des plus importants. Elle s'installe dans la voiture à l'avant, tout le monde est prêt pour le départ. Georges, attendez, je reviens. Elle repart vers la maison, elle pose son passeport sur la table d'extérieur, les clefs de la maison, la voilà repartit dans sa chambre pour se saisir d'un foulard. Vincent n'hésite pas, il sort de la voiture, et se précipite vers le passeport. Maman est effarée, elle lance un non tonnant, trop tard. Je ferme les yeux. Vincent revient s'installer dans la voiture. Madame Bouix est toujours dans la maison. Il sait. Personne n'ose lui demander. Madame Bouix ressort avec son foulard, elle revient dans la voiture, elle a repris son passeport. Nous partons. Vincent ne révèlera le secret que le soir venu. La semaine sera consacrée en analyse et re-analyse sur cette donnée incroyable.

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