Mi-août, il n'y a pas de surprise, nous partons à
Argelès-sur-Mer pour une semaine. Nous y rejoignons Madame Bouix qui nous
attend dans sa maison de village. L'habitude avait été prise dès 1966. A
l'époque c'était maman qui profitait de ces vacances. Rythme immuable des
choses, cadencé à la perfection, comme le coucou suisse de la minuscule salle à
manger où nous dormons avec Vincent tous les soirs. Le matin c'est grasse
matinée, le midi melon avec le porto dans le verre, ensuite sieste de papa et
pétanque dans le jardin pour nous, puis départ à la plage du Racou pas avant 17
heures. Le Racou, c'est un ancien village de pêcheurs, un peu à l'écart
d'Argèles. On y est en décalé dans la saison, fin août, et en décalé dans la
journée, vers 18 heures. C'est l'image de nos vacances à la mer, décalées,
fuyant la vague, et dans la totale nostalgie. Dans ce rythme imposé, il existe
un tabou absolu, l'âge de Madame Bouix. Lorsqu'elle n'est pas là, les débats
vont bon train, est-elle plus jeune que pépé Bastier, voyons voir en 1952 lors
des retrouvailles, cherchons des éléments. Madame Bouix. C'est adorable, nous
l'appelons tous révérencieusement Madame Bouix et nous la vouvoyons. Mes
grands-parents vivent avec elle depuis 50 ans, même combat. Nous savons tous
qu'elle se délecte de ce statut si particulier que nous lui reconnaissons, et
tout se déroule avec beaucoup de respect et de sympathie. Nous avons évidemment
une histoire différente. Elle a grandi dans les Années Folles, à Paris, dans un
milieu aisé, avec une éducation très exigeante, et elle a capturé une quantité
de savoir et de compétences magnifiques. Elle est en l'aise à l'aquarelle, lit
une partition de musique classique comme un roman, la couture n'a pas de secret
pour elle, les noms latins de nombre de champignons sont une formalité, elle
est un vrai cordon bleu en cuisine, et elle garde jalousement tous ses tours de
cuillères. Elle est la quintessence de l'admirable éducation des jeunes filles
d'antan. Et sa date de naissance reste un secret absolu. Ce jour-là il pleut.
Pas de sortie à la plage. L'après-midi sera consacré à une virée en Espagne, à
Portbou, avec l'objectif affiché de se re-approvisionner en cigarillos. Madame
Bouix vient avec nous, l'objectif de la sortie est définitivement des plus
importants. Elle s'installe dans la voiture à l'avant, tout le monde est prêt
pour le départ. Georges, attendez, je reviens. Elle repart vers la maison, elle
pose son passeport sur la table d'extérieur, les clefs de la maison, la voilà
repartit dans sa chambre pour se saisir d'un foulard. Vincent n'hésite pas, il
sort de la voiture, et se précipite vers le passeport. Maman est effarée, elle
lance un non tonnant, trop tard. Je ferme les yeux. Vincent revient s'installer
dans la voiture. Madame Bouix est toujours dans la maison. Il sait. Personne
n'ose lui demander. Madame Bouix ressort avec son foulard, elle revient dans la
voiture, elle a repris son passeport. Nous partons. Vincent ne révèlera le
secret que le soir venu. La semaine sera consacrée en analyse et re-analyse sur
cette donnée incroyable.
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