samedi 7 août 1993

29- La roue et le frein

Papa l'a décidé. Nous allons à Novalaise ce mois d'août, c'est pour l'occasion d'une fête d'anniversaire de mariage d'oncle et tante. Nous y allons très rarement à Novalaise. Pourtant, papa nous raconte régulièrement avec beaucoup de nostalgie ses voyages à lui en Savoie quand il était petit. Notre sang savoyard, notre fierté nous rappelle-t-il. Vincent est à l'aise, il connaît beaucoup mieux que moi toute cette famille. En 1990, l'année dernière, il est parti, pour son premier job d'été, travailler dans le restaurant de René, la Bergerie. Il a logé chez Maurice et Yvette, jeunes retraités alors. Il avait oublié de descendre du train à l'arrivée, ça présageait du meilleur. Cette fois, nous voici une nouvelle fois embarqués dans la tournée du Perret, du Menou, chez tante Marie-Thérèse, etc... Au Perret, c'est l'effervescence, le cousin François vient de gagner à l'émission la Roue de la Fortune. Il a décroché de nombreux cadeaux, dont le gros lot, une AX blanche. Il y a beaucoup de monde, la VHS de l'émission tourne en boucle, on en profite, puis les cadeaux sont passés en revue. Vincent retient en particulier le fameux skateboard à moteur, dont la vie commerciale très avant-gardiste n'a toujours pas décollé. Une séance d'essai immédiate sur la route devant la ferme s'organise. Tout le monde rit, le temps passe, Vincent prend l'initiative. Il me défie de monter le pic de l'Epine en bicyclette. Je ne sais de quoi cela ressort, il m'explique qu'il l'avait fait en 90, et que je n'y arriverai pas sans poser le pied par terre. La discussion s'anime avec nos cousins sur cet exploit sportif, ils nous prêtent 2 vélos oranges un peu dans leur jus, et nous voilà parti tous les deux. Je suis Vincent de près, je serai bien incapable de revenir. Vincent se moque de moi car à 500 mètres de l'arrivée, je crois que ça descend déjà tellement la pente était dure. Pas de pause, on redescend déjà vers le lac d'Aiguebelette. Je m'inquiète, mon vélo ne freine pas beaucoup. Vincent m'arrête, il inspecte mon vélo. Nous sommes seuls sur une toute petite route de montagne, quasiment en haut du col, et encore assez loin du village. Il décide d'échanger nos bicyclettes. C'est Vincent, mon grand frère, qui me protège. La descente reprend. Il passe rapidement devant moi. Les freins lâchent au bout de 2 virages. Je l'entends hurler. Il descend à toute vitesse. Il passe les virages à gauche de la route. Une voiture peut surgir en face à tout moment. Il va trop vite. Je ne le vois plus. Une minute passe, je suis seul. Je continue à descendre, très inquiet. Il m'appelle. Il a réussi à filer droit sur un sentier en terre qui remontait, à la sortie d'un virage. Ca l'a arrêté. Ouf. Je veux repartir à pied. Allez, dépêche-toi, me souffle-t-il. Et il repart de plus belle. Je le rejoindrais en bas de la pente, au village. Il fait remarquer aux cousins que le vélo n'a plus de frein. J'acquiesce timidement. Oui, en effet, ils le savent. La journée continue. Sans lui, c'était moi qui partait sans contrôle sur la route du col, et je ne pense pas que j'aurai eu le sang froid de foncer vers ce sentier cabossé. Il m'a sauvé par anticipation.

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